MON SUPER-HÉROS ?

Mon super-héros ?

« Bon Dieu ! Mais c’est… Bien sûr ! ». Un premier réflexe à la commissaire Bourrel. Très rapidement anéanti par la submersion. Un super-héros ? Mais… De tempérament très romantique et baroque derrière une fausse allure pondérée, je me suis exalté, emporté, incendié pour d’Artagnan et Mercutio, Thyl Ulenspiegel et Ben Hur, Sherlock Holmes et Sitting Bull, Spartacus… Puis Corto Maltese, Pardaillan…  Bien avant Lisbeth Salander. Tamisant à travers le flux et le reflux des réminiscences, j’ai songé à Zorro, Simon Templar/The Saint, Bob Morane qui m’avaient façonné en justicier dès mes primaires, conforté dans mes pulsions primales contre l’abus de pouvoir, la discrimination. Ah, ces sauts dans la mêlée pour enlever la veuve ou, plus volontiers, l’orpheline !

« Bon Dieu ! Mais c’est… Bien sûr ! ». Au débotté, une évidence a balayé les ectoplasmes de ma jeunesse. Je n’avais somme toute qu’esquissé des effleurements, négligeant une intrusion qui avait modifié mon rapport à la lecture, à mes attentes, renouvelé mon imaginaire des créneaux aux oubliettes.

« Bon Dieu ! Mais c’est… Bien sûr ! ». Spiderman ! Spiderman, intrinsèquement mais aussi comme maillon d’une chaîne. Ce choc copernicien peu après le 5 mars 1970. Je viens d’avoir 9 ans, je fais mes courses dans la librairie du village, j’achète de petites BD de gare, des récits de guerre, je découvre un fascicule bizarre, très… étrange. Strange. Un mensuel français, qui nous offre, remastérisés, des comics américains. Avec des héros… tels que je n’en ai jamais vus. Des super-héros. Au sens strict. Tel qu’il va s’imposer. Des êtres dotés de pouvoirs extraordinaires. Des mutants, des génies, etc. Les X-Men, Iron Man, Daredevil, Le Surfer d’Argent. La curiosité. L’achat. Le basculement. Dans un univers à mille lieues des canons (et des limites) de la BD franco-belge. Plus charnu, plus empathique, plus adulte. Hanté par des considérations sociologiques, psychanalytiques, philosophiques, métaphysiques. Trois dimensions face à deux. L’œuvre de Stan Lee et Jack Kirby, des démiurges secondés par mille petites et grandes mains (immenses si l’on évoque John Buscema ou Frank Miller), des Homère du XXe siècle, qui ont exhalé, exalté un monde parallèle fort de mille héros, mille séries qui se recoupent, tissant des liens inextricables. Un monde conjuguant l’épopée mythique et le soap US. Une cathédrale narrative. Une giga-comédie sur-humaine.

« Bon Dieu ! Mais c’est… Bien sûr ! ». Et bientôt s’impose la figure de Spiderman, archétype d’un héros qui renouvelle l’appréhension dudit héros. Revêtu de son déguisement, il se présente comme un super-héros voltigeant dans les airs, d’une puissance à délaver en une seconde tous les Morane et Templar. Mais. Rendu au civil, regagnant ses pénates au sortir d’affrontements olympiens, le voilà affairé, affaissé comme n’importe quel quidam. Des examens à passer. Une petite amie qui lui reproche ses absences, ses oublis (et pour cause !), des difficultés pour gagner de quoi se loger, survivre, une tante/mère de substitution cardiaque et des proches mis en danger par ses frasques. Des interrogations sur le sens de celles-ci. Catharsis vis-à-vis de traumatismes de jeunesse, mission humanitaire, penchants inavouables ? Et c’est bien le paradoxe de ces super-héros tout à la fois surhumains et incroyablement humains. Forts et faibles. Idéalistes et névrosés.

« Bon Dieu ! Mais c’est… Bien sûr ! ». Aucun héros, aucun super-héros ne m’aura jamais touché comme celui-là. Victime de mille malentendus. Honni, méprisé. Pauvre. Gringalet et intello de jour, empêtré dans des amitiés, des amours impossibles. Et je me souviens. Oui, je me souviens de cette atroce journée au cœur de mon adolescence où sa fiancée de longues et longues années, Gwen, la magnifique Gwen, ma Marilyn/madeleine, chut du haut d’un gratte-ciel engloutissant l’âge d’or de mes rêveries.

(article commandé et publié par la revue Indications en 2013)

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